Lakdar Kherfi | Acteur associatif | Au cœur des Années banlieues

Dans cet entretien, Lakdar Kherfi revient sur sa jeunesse au Val Fourré, à Mantes-la-Jolie. Il raconte sa découverte, au début des années 1980, des politiques de développement social menées dans son quartier ; en particulier, sa rencontre avec la Mission locale, nouvellement implantée, qui a selon lui encouragé l’émergence d’une dynamique collective parmi les jeunes du grand ensemble. C’est dans ce contexte qu’il cofonde en 1983, avec ses frères et sa sœur, l’association Vivons Ensemble, pionnière dans l’auto-organisation des jeunes de quartier. Il retrace cette aventure collective, de l’action locale jusqu’à son engagement dans la structuration d’un mouvement national des jeunes de banlieue. Cet entretien laisse entrevoir toute l’ambivalence de son rapport aux institutions, oscillant entre reconnaissance et déception. Lakdar Kherfi conclut néanmoins sur une note d’espoir : l’avenir des quartiers populaires repose sur la confiance faite à une jeunesse créative, qu’il faut accompagner et valoriser.

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Cette vidéo est un montage issu d'un témoignage collecté dans le cadre d'une campagne d'archives orales initiée en 2025 par le Comité d'histoire de la politique de la ville. Pour obtenir la vidéo source, merci de remplir le formulaire suivant : https://forms.gle/WeEe25DASvSDWxLw7

RÉSUMÉ

Dans cet entretien, Lakdar Kherfi revient sur sa jeunesse au Val Fourré, à Mantes-la-Jolie. Il raconte sa découverte, au début des années 1980, des politiques de développement social menées dans son quartier ; en particulier, sa rencontre avec la Mission locale, nouvellement implantée, qui a selon lui encouragé l’émergence d’une dynamique collective parmi les jeunes du grand ensemble. C’est dans ce contexte qu’il cofonde en 1983, avec ses frères et sa sœur, l’association Vivons Ensemble, pionnière dans l’auto-organisation des jeunes de quartier. Il retrace cette aventure collective, de l’action locale jusqu’à son engagement dans la structuration d’un mouvement national des jeunes de banlieue. Cet entretien laisse entrevoir toute l’ambivalence de son rapport aux institutions, oscillant entre reconnaissance et déception. Lakdar Kherfi conclut néanmoins sur une note d’espoir : l’avenir des quartiers populaires repose sur la confiance faite à une jeunesse créative, qu’il faut accompagner et valoriser.

QUI EST LAKDAR KHERFI ?

Lakdar Kherfi est né en 1959 à Triel-sur-Seine, dans une famille ouvrière d’origine algérienne. Son père, ouvrier dans les lignes téléphoniques et télégraphiques à Conflans-Sainte-Honorine, incarne cette génération d’immigrés ayant contribué à bâtir la France industrielle après la guerre. Sa mère, quant à elle, veille à l’éducation de leurs enfants. En 1967, la famille emménage dans le grand ensemble du Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie. Le jeune Lakdar, alors âgé de sept ans, découvre un vaste quartier populaire, où se mélangent familles françaises et immigrées, issues des classes populaires et moyennes. Ce déménagement, depuis un logement d’une petite ville vers un appartement plus spacieux dans une cité HLM, symbolise à ses yeux une ascension sociale, un saut vers la modernité. Très vite, le Val-Fourré devient le terrain de jeu et d’apprentissage d’une jeunesse souvent livrée à elle-même. Il se trouve alors confronté à la délinquance, à l’absence de loisirs encadrés, au racisme, mais aussi à une vie sociale marquée par la solidarité. C’est dans ce contexte que survient la crise économique du milieu des années 1970, marquée par la désindustrialisation et la montée du chômage. En banlieue, les mécanismes de contrôle social se grippent, renforçant les dynamiques d'exclusion. Les pouvoirs publics commencent alors à prendre en compte cette situation. Après l’arrivée de François Mitterrand en 1981, Lakdar assiste ainsi, depuis l’intérieur, à la mise en œuvre des politiques de développement social des quartiers (DSQ).

Pour lui, cela se traduit par une rencontre décisive avec la Mission Locale, qui va l’encourager — lui et d’autres jeunes — à s’organiser collectivement. En 1983, il cofonde avec ses frères et sa sœur l’association Vivons Ensemble, au cœur du Val-Fourré. Ce collectif devient un espace d’initiative et de mobilisation porté par les jeunes — autour de l’éducation, du sport, de la culture et de la médiation avec les institutions. Il constitue aussi une affirmation politique, revendiquant la pleine citoyenneté des jeunes de banlieue. Dans ce cadre, il a pris part aux grands moments de mobilisation associative des années 1980 : les marches pour l’égalité, les Assises des jeunes issus de l’immigration (1984), les Assises nationales des jeunes de banlieue (1992), etc. Il est devenu, depuis lors, un interlocuteur privilégié des institutions, et a ainsi contribué à imposer une parole nouvelle dans l’espace public : celle d’une jeunesse des quartiers engagée, porteuse de solutions, et revendiquant sa place dans la société française. Parallèlement à son engagement associatif, il se forme : diplômé en gestion, animation, régie, et éducateur spécialisé, il s’investit dans plusieurs dispositifs de la politique de la ville, des opérations Anti-été chaud aux initiatives comme Café Musique ou la Caravane des quartiers. Dans les années 2000 et 2010, il poursuit cet engagement en rejoignant Médiation Nomade, fondée par son frère Yazid, ancien délinquant repenti, pour intervenir la nuit auprès des jeunes dans les quartiers. 

Lakdar Kherfi incarne pleinement ce que le sociologue Adil Jazouli a appelé les « Années banlieues » : cette période décisive qui fut “celle de l’entrée des jeunes d’origine maghrébine dans l’histoire sociale du pays” (1). Avec le temps, il est devenu une figure de la politique de la ville, dont il a épousé tous les visages : habitant, fondateur d’association, éducateur spécialisé, acteur reconnu du développement social urbain. En 2022, il est nommé membre du comité d’orientation du Comité d’histoire de la politique de la ville.

(1) Jazouli, A. (1992). Les Années banlieues (coll. « L’histoire immédiate »). Paris : Seuil.

Hugo Santi