Thèse soutenue le 21 mars 2023 à GrenobleActualité

« Impacts de la rénovation urbaine sur les représentations sociales des quartiers de la politique de la ville : exemple du quartier rénové de Teisseire à Grenoble »

Thèse soutenue le 21 mars 2023 à Grenoble

Karin SCHAEFFER

Laboratoire PACTE, Laboratoire des sciences sociales,
École Doctorale Sciences de l'homme, du Politique et du Territoire

 

Thèse conduite sous la direction de Paulette DUARTE, maître de conférences HDR en urbanisme Université Grenoble Alpes, chercheure au laboratoire de sciences sociales Pacte, et soutenue publiquement le 21 mars 2023 à l’institut d'Urbanisme de Grenoble devant le jury composé de :

Marie-Christine JAILLET, directrice de recherche CNRS, Université de Toulouse 2 (examinatrice) ;

Christine LELÉVRIER, professeure des universités, École d'Urbanisme de Paris-Est-Créteil (rapportrice) ;
Thibault TELLIER, professeur des universités, Sciences Po Rennes (rapporteur) ;
Frédéric SANTAMARIA, professeur des universités, Université Grenoble Alpes (examinateur)

Expérimentée dès la fin des années 1970 avant d’être institutionnalisée dans les années 1990, la politique de la ville va intervenir dans les grands ensembles hérités de l’après-guerre en alternant diverses mesures, tantôt privilégiant le volet social, tantôt axées sur le bâti et le cadre de vie des habitants, jusqu’à la réforme d’ampleur qui va s’imposer par le biais de la Loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine en 2003. Pour le volet urbain, près de 600 quartiers d’habitat social classés en Zones Urbaines Sensibles (ZUS), vont bénéficier du Programme National pour la Rénovation Urbaine (PNRU) confié à l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU). 

Cette « doctrine rénovatrice » (Epstein, 2013, p. 82) va proposer un diagnostic spatial des problèmes sociaux, et privilégier l’action urbaine légitimant la démolition massive des grands ensembles pour agir de manière radicale sur l’image des quartiers. Aux apports majeurs qui ont permis la requalification de la majorité des quartiers, apparaissent cependant les limites de l'action urbaine à réduire les écarts entre les quartiers de la politique de la ville et leur environnement, et à infléchir les dynamiques de paupérisation des quartiers.

Si la rénovation urbaine n'a pas eu les effets escomptés (Epstein, 2012), quels sont alors les impacts de cette politique publique sur l'image des quartiers ? Pour essayer de répondre, Il s'avère nécessaire d'appréhender le quartier de la politique de la ville du point de vue des habitants qui y vivent et le pratiquent. C'est pourquoi, la présente recherche mobilise une sociologie des représentations sociales de l’urbain. La théorie des représentations sociales est reconnue comme un système d'interprétation régissant les rapports du sujet avec le monde et les autres (Jodelet, 1994). Appliquée à l'espace urbain rénové, elle permet de rendre compte des phénomènes sociaux qui s'y déroulent et d'orienter l'attention « vers les significations sociales dont l’espace est porteur ou investi » (Jodelet, 2015, p.96). 

Une méthode d’analyse qualitative a porté sur les discours habitants du quartier de Teisseire à Grenoble issus de trois enquêtes menées au début de la rénovation (les Baromètres du quartier Teisseire de 2003 et 2006), puis bien après le renouvellement (enquête menée auprès des habitants du quartier en 2018 et 2019). Puis, cette méthode d’analyse a été idéale-typique (Weber 1965), c’est-à-dire qu’en accentuant des contenus et en en regroupant certains pour former une représentation sociale homogène, elle a permis de mettre en exergue les représentations sociales-types des habitants à l’égard du quartier. 

Cette recherche a permis de montrer que les représentations de la dévalorisation des quartiers de la politique de la ville (Duarte, 2000) mobilisées par les professionnels (directeurs de la rénovation urbaine, chargés de mission chez les bailleurs et Action Logement, urbanistes et architectes) justifient les actions urbaines, mais qu'elles diffèrent de celles des habitants de ces quartiers. 

De plus, la rénovation urbaine a bien impacté les représentations des habitants du quartier rénové de Teisseire. En effet, avant la rénovation urbaine, les habitants dressent le portrait d’un quartier-village en déclin. Les représentations sociales identifiées sont : un quartier-entité, des états d’esprit de quartier, un quartier « destroyed », la nostalgie d’un quartier d’antan, un hors quartier valorisé, un quartier insécure, une concentration (Duarte & Schaeffer, 2021).

Après la rénovation urbaine, les habitants désignent un quartier quasi-amélioré.  Des représentations anciennes perdurent et d'autres nouvelles apparaissent :  un quartier-frontières, un quartier d’en-clos, un quartier-bulles, un quartier insécure, un nouveau quartier en déclassement, la désillusion d’un quartier revalorisé.

La rénovation urbaine peut donc changer profondément les représentations sociales des habitants mais elle ne les impacte pas forcément dans le sens attendu par les acteurs de la politique de la ville. A titre d'exemple, le désenclavement du quartier opéré par le biais d'une restructuration de la trame urbaine devait ouvrir le quartier sur son environnement immédiat, mais les représentations sociales d’en-clos, de quartier « bulles » désignent plutôt un quartier fermé et hermétique.

Ainsi, les représentations sociales permettent d'étudier le sens des espaces ou des phénomènes urbains, attribués par des individus, groupes sociaux ou encore acteurs de ces espaces, et d’obtenir des résultats originaux pour étudier les quartiers rénovés sans les déformer, ni les simplifier (Moscovici 2003, p.79). Elles rendent compte d'une réalité du quartier : celle au moment de la mise en œuvre du projet de rénovation, et d’appréhender les changements qui s'y opèrent, d'identifier « des états de quartier et des processus d’évolution » (Duarte, 2021, p.72).

Également, les apports de la présente recherche permettent d'interroger les outils d'évaluation des projets urbains de la politique de la ville. En effet, les indicateurs de résultats des objectifs de l’ANRU sont de plus en plus nombreux mais peinent à rendre compte de la réalité des quartiers rénovés. Le recours aux représentations sociales afin de mesurer les effets de la rénovation urbaine pourrait répondre aux limites des indicateurs de l'ANRU. 

De plus, dans le cadre professionnel, cette recherche a eu des retombées concrètes en impactant mes représentations sociales des quartiers de la politique de la ville. Elle a influencé mon expertise d'urbaniste et le processus de prise de décision dans la conduite du projet de renouvellement urbain. Aussi, l'une des perspectives de cette recherche pourrait s'inscrire dans une réflexion à mener sur le terrain en vue d'expérimenter une évaluation du nouveau programme de renouvellement urbain à Manosque en s’appuyant sur les représentations sociales des habitants du quartier sur la période 2019 - 2026. 

Mots clés : grands ensembles, politique de la ville, rénovation urbaine, représentations sociales.

Contacts

Karin Schaeffer : karin.schaeffer@umrpacte.fr

Paulette Duarte :  paulette.duarte@univ-grenoble-alpes.fr