Une journée d’étude passionnante et passionnéeActualité
Atmosphère à la fois studieuse et sensible pour la première journée d’étude du comité d’histoire de la politique de la ville, organisée le 5 juillet au centre de colloques du Campus Condorcet, qui a réuni 90 participants, chercheurs et praticiens de la politique de la ville. Cette rapide synthèse sera suivie à la rentrée d’une transcription très complète de l’ensemble des interventions, qui sera mise en ligne sur le site du comité.
Comme l’a souligné en ouverture Michel Didier, le président du comité d’histoire, « l’actualité récente montre à quel point la création de ce comité et le travail qu’on attend de lui sur l’histoire de la politique de la ville étaient nécessaires et même urgents ! ».
Michel Didier a remercié le Campus Condorcet dont la présidente du conseil scientifique, Danielle Tartakowsky, a accepté d’ouvrir cette journée avec lui. Il a rappelé que le comité, depuis sa création, avait un partenariat stratégique avec le Campus et souligné l’importance pour le comité d’être adossé à un grand pôle universitaire en sciences sociales qui plus est implanté en Seine-St-Denis, territoire cher à la politique de la ville.
Le président a ensuite donné des sur l’activité récente du comité, qui, « après un moment d’incertitude lié au changement ministériel de l’été 2022 », est désormais en capacité de travailler. Le 28 mars 2023, le comité d’orientation, instance de décision du comité, a adopté un programme d’action ainsi qu’une feuille de route scientifique sur trois ans, discutée auparavant au sein du conseil scientifique (cf. la rubrique « actualités »).
Michel Didier a tenu ensuite à évoquer « le contexte particulier » de cette journée d’étude, « avec les événements que nous avons connus ces derniers jours, qui sont venus remettre la politique de la ville et les jeunes des quartiers populaires sur le devant de l’actualité ». Mais si « la tentation est forte évidemment d’en parler, ce n’est pas le rôle du comité d’histoire de commenter à chaud l’actualité, même si nous pensons à tous ceux qui ont été et sont encore sur le front dans les quartiers. »
Cependant, le président a expliqué que le comité d’histoire allait s’emparer de cette actualité « récurrente dans l’histoire de la politique de la ville ». Le comité l’avait d’ailleurs en quelque sorte anticipé car, avant même les émeutes, il avait décidé de consacrer son premier séminaire annuel aux questions de jeunesse. Le conseil scientifique le 31 mai 2023 a commencé à en inventorier les axes à éclairer. La question des relations des jeunes avec la police, celle des discriminations, la politique de prévention de la délinquance et de sécurité qui a constitué un des piliers de la politique de la ville à l’origine – c’est d’ailleurs le 40è anniversaire de la publication du rapport Bonnemaison – se sont imposés comme des thèmes à investiguer, avec d’autres, comme la question de l’éducation. Ce séminaire est encore en cours de préparation. Sa première séance pourrait se tenir le 17 octobre prochain au Campus Condorcet.
Michel Didier a conclu son intervention sur le sens de cette première journée d’étude : « une sorte de séminaire initial, ouvert largement, au-delà des seuls chercheurs et des membres du comité d’histoire, aux praticiens et aux personnes qui s’intéressent à la politique de la ville, afin de croiser les regards et de débattre des enjeux : pourquoi et pour qui faire l’histoire de la PV- et comment la faire ? »
Enfin, il a rappelé le parti pris initial du comité : « Ne pas faire une histoire seulement académique mais tout autant une histoire par les acteurs et par les territoires. Avec la volonté d’embarquer le maximum de partenaires et d’encourager résolument les démarches d’histoire locale, comme on a commencé à le faire à Toulouse et comme on souhaite le faire à Marseille ou ailleurs. »
De son côté, Danielle Tartakowski a rebondi sur les propos de Michel Didier qui avait dit que « le comité avait besoin du Campus Condorcet » en soulignant que « le Campus a besoin du comité ». Elle a ainsi précisé que « le comité d’histoire de la politique de la ville sera invité à participer à une prochaine réunion de notre conseil scientifique. » Et une visite de l’Humathèque (centre d’archives du campus) sera organisée pour voir comment articuler les ressources documentaires du Campus avec celles du comité.
Pour Danielle Tartakowski, « Condorcet est en quelque sorte un produit et un acteur de la politique de la ville ». C’est pourquoi le partenariat avec le comité d’histoire est évident et qu’il pourra même prendre une dimension internationale, du fait des coopérations du Campus avec des universités étrangères comme celle de Londres.
La matinée a été animée par Emmanuel Bellanger, historien (Centre d’histoire sociale des mondes contemporains, Université de Paris1), qui a tenu, en introduction, à évoquer les événements récents. Il a mentionné le projet de recherche participative Pop-Part « Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots » (https://jeunesdequartier.fr/) et dit qu’il pensait aux 120 jeunes qui ont été impliqués dans cette démarche...
Trois approches historiographiques ont été ensuite présentées.
Thibault Tellier (Sciences Po Rennes), responsable scientifique de la journée d’étude, a d’abord planché sur la manière d’appréhender l’histoire de la politique de la ville. Il a développé deux points particuliers : le fait de resituer cette histoire « dans la longue durée des politiques urbaines » ; la nécessité de « définir la politique de la ville dans une approche pluri-thématique et multifactorielle ». Pour l’historien, « cette double approche, pluri-thématique et multifactorielle, remise dans la longue durée doit ainsi permettre d’éviter de se laisser enfermer dans une approche uni-causale (la politique de la ville sert surtout à contenir les émeutes urbaines) ou mono-thématique (la rénovation urbaine). ». C’est, selon lui, la condition pour « restituer à cette politique publique toute sa complexité et surtout son épaisseur historique ». Elle passe également par des registres d’analyses complémentaires et comparatifs : l’approche régionale et l’approche internationale.
Loïc Vadelorge (Université Gustave Eiffel) est revenu ensuite sur « Les enseignements du Programme d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles », qui avait été initié par un haut-fonctionnaire, Jean-Eudes Roullier, et dont lui-même a été un des principaux protagonistes. Ce programme s’est développé sur une durée limitée (quelques années) et portait sur un objet bien circonscrit : les villes nouvelles, qui sont d’ailleurs contemporaines des débuts (HVS) de la politique de la ville (HVS). Pour autant, il est riche d’enseignements pour un travail historique sur la PV.
Gwenaëlle Le Goullon (Université Lyon III), a présenté « Un cas régional d’étude : Rhône-Alpes », une région qui affiche une chronologie particulière de la PV, par exemple avec les émeutes de l’été 1981 ou la première démolition aux Minguettes (Vénissieux) en 1983. L’historienne a également souligné que la crise des grands ensembles était liée à la désindustrialisation massive qui avait touché l’agglomération lyonnaise à partir des années 1980. Un phénomène que l’on retrouve en Ile-de-France, dans la vallée de la Seine ou en Seine-Saint-Denis, comme le rappellera Brigitte Guigou (Institut Paris Région) dans le débat.
La deuxième séquence de la matinée était consacrée aux « Croisements disciplinaires : à quoi peut servir l’histoire de la politique de la ville ? ».
Philippe Estèbe, géographe et politiste (coopérative Acadie), qui n’a pu être présent, avait cependant envoyé une contribution « Pourquoi, pour qui et par faire l’histoire de la politique de la ville ? », dont Emmanuel Bellanger a lu des extraits (cf. le texte intégral en téléchargement).
Pour Renaud Epstein, sociologue (Sciences Po Saint-Germain), faire l’histoire de la politique de la ville, c’est notamment « saisir la recomposition de l’État » en particulier dans les rapports centre/périphérie. Le chercheur lie les différents moments de la PV avec les phases de la décentralisation, y compris la rénovation urbaine comme traduction du « gouvernement à distance » (qu’il avait lui-même théorisé). Au point même de faire de la politique de la ville un « mode d’emploi de la décentralisation ». Mais, selon Renaud Epstein, la PV a perdu progressivement son pouvoir d’innovation, surtout depuis la création de l’ANRU. Le sociologue s’est interrogé en conclusion sur le rôle de travaux historiques et de la mémoire dans l’élaboration des politiques publiques : « l’oubli n’est-il pas la condition de l’action ? ».
Christine Lelévrier, sociologue-urbaniste (École d’urbanisme de Paris – Université Paris Est Créteil), a souligné que beaucoup d’études sociologiques dessinaient en creux un bilan social de la politique de la ville et interrogeaient le modèle républicain. Elle relève que beaucoup d’interrogations portent sur les moyens et l’efficacité de la PV et non sur le sens de cette politique publique. Selon Christine Lelévrier, il faut « remettre de la complexité », alors que la PV s’est beaucoup mobilisée sur la question urbaine malgré une forme d’échec de la recherche de mixité sociale. Elle souligne le rôle de « politique de la ville locales » qui implique de s’intéresser aux trajectoires des territoires. C’est la condition pour produire une histoire plus riche qu’une histoire administrative.
Deux temps de débats ont pris place dans la matinée. Plusieurs personnes ont posé la question du vocabulaire employé à propos des quartiers populaires et de leurs habitants. Christine Lelévrier a d’ailleurs noté que la catégorie de « quartier » était peu interrogée. Bénédicte Madelin a elle parlé de « mots qui tuent » et récusé les termes d’émeutes urbaines au profit de ceux de révoltes sociales.
Joëlle Bordet a évoqué des « événements très douloureux mais porteurs d’enjeux politiques forts. » Pour elle, les catégories utilisées pour l’histoire de la PV constituent une vraie question philosophique.
Un autre aspect est ressorti des interventions de la salle : la nécessité d’étudier des politiques de la ville locales et pas seulement l’histoire nationale (Sylvie Harburger). D’autres ont souligné les « inventivités territoriales » à l’œuvre.
Sur la question de l’État et des autres politiques publiques, Dominique Figeat a rappelé que la politique de la Ville résultait de rapports de forces y compris entre administrations, alors que Joëlle Bordet soulignait la nécessité d’étudier les évolutions des autres ministères : l’Intérieur, la Jeunesse et les Sports, l’Éducation nationale...
L’après-midi animé par Marie-Christine Jaillet (Université Toulouse Jean Jaurès) a commencé par quatre exposés autour de la question « Quelles sources ? Quels matériaux ? ».
Anne-Sophie Lienhardt, conservatrice du patrimoine, Archives nationales, a présenté les sources écrites disponibles et la manière dont elles étaient organisées.
De son côté, Martin Barrot a évoqué les archives de la Caisse des dépôts, acteur sur la longue durée des politiques de la ville et de l’habitat.
Amandine Romanet, doctorante, a exposé les résultats d’un premier travail d’exploration des sources concernant la mission Banlieues 89.
Jean-Philippe Legois, qui a dirigé des services d’archives municipales, a fait le point sur les enjeux de la collecte des archives locales de la politique de la ville.
La journée s’est conclue par une table ronde autour des partenariats possibles autour de l’histoire de la politique de la ville.
Audrey Gatian, adjointe au maire de Marseille, qui intervenait en visio-conférence, a notamment confirmé l’intérêt de la Ville de Marseille pour une démarche d’histoire locale de la politique de la ville.
Jean-Luc Michaud, qui représentait le réseau national des centres de ressources, a souligné la richesse des archives déjà collectées par les centres de ressources et la nécessité de s’intéresser aussi à la mémoire des habitants.
Bruno Marot, responsable des partenariats institutionnels et de la rechercher de l’Union sociale pour l’habitat (USH), a rappelé la disponibilité des organismes HLM pour un travail historique, faisant apparaitre notamment leur rôle dans la politique de la ville.
Isabelle Laudier, responsable de l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts, a confirmé le rôle de son organisme pour appuyer avec d’autres partenaires des travaux de recherche.
Enfin, Jean-Pierre Roger (IRDSU) a souligné le potentiel de ressources que représentaient les professionnels de la politique de la ville (anciens et nouveaux). Et attiré l’attention sur le nécessaire travail historique concernant la politique de la ville dans des villes petites et moyennes.